Il discorso di Valdo Spini in occasione del restauto del monumento ai Rosselli di Bagnoles de l’Orne
(Valdo SPINI)
Monsieur le Maire de Bagnoles de l’Orne, Monsieur l’Ambassadeur d’Italie, Monsieur le Consul General,
Citoyennes et citoyens français et italiens présents,
En tant que Président de la Fondation Circolo Fratelli Rosselli,
Je désire avant tout remercier la municipalité de Bagnoles de l’Orne, le Maire Olivier Petitjean et le Maire délégué Jean Pierre Bloue, pour le soin qu’ qu’ils ont apportés pendant toutes ces années au monument dont nous saluons aujourd’hui la restauration. Vous avez maintenu le monument en toute sa dignité et sa propreté depuis son installation en 1949 à l’endroit même où Carlo et Nello Rosselli furent si vilement assassinés le 9 juin 1937 et nous vous en sommes très reconnaissant.
Je veux remercier pour leur présence et pour leur soutien l’ambassadeur d’Italie, Giandomenico Magliano et le Consul General Andrea Cavallari. Je dois dire que, sans l’œuvre continue et passionnée du Consul General Andrea Cavallari, nous n’aurions pas été en condition de réaliser cette importante et significative manifestation.
Enfin je voudrais réserver un remerciement tout particulier au laboratoire Nicòli de Carrara, la ville du marbre. Auprès de ce laboratoire, ici représenté par Francesca Nicòli, fut sculpté le monument, œuvre de Carlo Sergio Signori. C’est le laboratoire qui s’est chargé, totalement gratuitement, de sa restauration, en coopération avec la municipalité. On peut aujourd’hui en apprécier à nouveau le blanc de son marbre original et son inscription, qui explique sa signification historique, a été rendue nouvellement lisible.
Le monument est un exemple d’art abstrait, fait nouveau et original pour son temps. Le sculpteur Carlo Sergio Signori voulut expressément représenter, non pas la physionomie des corps des frères Rosselli, mais plutôt leur caractère moral. Pour cela il a représenté Nello comme un homme de pensée, ainsi semblable à une colonne et avait réservé à Carlo les traits d’un deuxième corps, dynamiquement détaché du premier, pour signifier que des deux frères, Carlo était l’homme d’action.
Quand ils ont été tués si vilement, avec une embuscade sur cette route, les deux frères n’avaient pas encore atteint l’âge de quarante ans. Pourtant ils ont laissé une grande empreinte dans l’histoire d’Italie, pas seulement pour leur sacrifice, mais aussi pour leur pensée et leur action. Deux grands représentants de la démocratie italienne.
Carlo s’était engagé dans la prestigieuse carrière de professeur universitaire d’économie politique, qu’il avait abandonnée pour une lutte acharnée contre le régime fasciste. Condamné à résidence surveillée à l’ile de Lipari, il s’en était échappé avec un bateau à moteur qu’on avait fait venir/venu de France, une entreprise vraiment éclatante. Il s’était établi à Paris, où il avait constitué un nouveau et très actif mouvement antifasciste, Giustizia e Libertà et avait publié en 1930 en français auprès della Librairie Valois, son texte théorique, Socialisme Liberal. Carlo Rosselli, comme tant d’autres refugiées politiques italiens avait été accueilli par votre généreux pays. Durant l’été 1936, il était accouru à la défense de la République Espagnole contre le coup d’état du General Francisco Franco, organisant à Barcelone une formation de volontaires italiens et Il avait été blessé dans la bataille du Monte Pelato. Sa phlébite s’était à nouveau acérée et alors il était venu pour une période de soin dans votre célèbre localité thermale de Bagnoles de l’Orne.
Nello était un professeur d’histoire apprécié, auteur de livres importants sur le Risorgimento italien, et lui aussi avait subi des périodes d’emprisonnement et de résidence surveillée. Il était parti de son habitation de Florence pour rejoindre Carlo et passer avec lui cette période à Bagnoles. On ne s’est rendu compte que plus tard de la facilité avec laquelle les autorités italiennes lui avaient concédé le passeport.
On organisa contre eux une embuscade soigneusement préparée. Les deux frères était sortis de l’Hôtel Cordier, où ils habitaient, pour une excursion à la ville d’Alençon. Ils furent suivis et assassinés à coup de poignard et de revolver sur la route du retour dans le bois de Couterne. L’historien de la région de l’Orne, André Edgar Poëssel, dans son livre, rappelle justement que ce crime était le présage des mauvais jours qui devaient atteindre la France et l’Europe.
L’assassinat des frères Rosselli est en fait un crime européen. Commandité par le gouvernement fasciste italien, exécuté par un commando de la Cagoule, la terrible organisation terroriste d’extrême droite française, et ayant parmi ses griefs la participation de Carlo à la guerre d’Espagne.
Carlo était la victime prédestinée, mais les assassins saisirent l’opportunité de tuer aussi son frère Nello, qui, avec son importante personnalité intellectuelle et avec son antifascisme cohérent, s’il lui avait survécu, aurait pu incarner son hérédité idéelle et politique.
Les obsèques des deux frères, à Paris le 19 juin 1937, furent la dernière manifestation internationale antifasciste de masse. Les deux chars avec leurs dépouilles furent suivis par plus de cent mille personnes, pas seulement des refugiés italiens, mais surtout des citoyens français. Nous voulons souligner cette solidarité. Leurs dépouilles furent enterrées dans le cimetière du Père Lachaise à partir duquel elles ont été transférées en 1951 dans le cimetière florentin de Trespiano où ils reposent à côté de leurs camarades du « Non Mollare » (Ne Cède pas) qui fut le premier journal clandestin antifasciste, édité à Florence en 1925.
Les deux frères Rosselli constituent le symbole d’une bataille pour la liberté et la démocratie conduite à sacrifice ultime. Un grand patrimoine idéal et moral que nous voulons, avec cette cérémonie aussi, remettre aux jeunes générations, pour qu’il serve d’exemple et d’incitation à la participation à la vie publique et démocratique. Leur sacrifice, ainsi que celui de beaucoup d’autres italiennes et italiens, a été pour nous la rédemption de vingt ans de régime fasciste et dictatorial.
Le mouvement crée par Carlo Rosselli s’appelait Giustizia e Libertà, Justice et Liberté. Et les deux mots sont rappelés par l’inscription posée sur ce monument qu’aujourd’hui on peut lire de nouveau dans son éloquence si sobre:
Carlo e Nello Rosselli tombés ici pour la justice et la liberté.
Un de leurs camarades plus fraternels, le grand juriste Piero Calamandrei, a posé cette inscription sur leur tombeau à Florence :
Giustizia e Libertà. Per questo morirono per questo vivono.
Justice et liberté. Pour cela ils murirent pour cela ils vivent.
Oui. Les Frères Rosselli vivent !
Giustizia e Libertà ont été deux grands idéaux du XXème siècle, le siècle qui est derrière nous. C’est au nom de ces idéaux que nos peuples ont combattu contre le nazisme et le fascisme et son intention de dominer le monde. C’est au nom de ces idéaux qu’on s’est battu contre toute forme de dictature.
Mais les idéaux de Justice et de Liberté vivent également au XXIème siècle, au commencement du troisième Millennaire dans lequel nous nous trouvons et dans lequel surtout vivront nos jeunes.
Nous sommes dans un monde globalisé, où l’Union Européenne doit faire face au défi des conséquences de la crise économique et financière qui a commencé en 2007-2008 aux Etats Unis pour rejoindre notre continent. Et cela dans un contexte d’injustices planétaires qui, avec les confits en cours, sont à l’origine des grands flux migratoires qui se sont développés.
C’est justement dans ce monde où l’on vit maintenant, que les mots Justice et Liberté représentent deux idéaux clairs, indiscutables, inextricablement liés.
La liberté comme pleine réalisation de la personne, la justice comme base de chaque société humaine. L’action cohérente et continue afin que ces deux idéaux se réalisent conjointement de façon que la justice puisse être vécue dans la liberté et que la liberté puisse être vécue réellement par la justice. Ce sont nos objectifs dans nos nations, dans l’Union Européenne, dans le contexte international. Pas de fermeture xénophobe, pas d’intolérance, oui aux grands idéaux républicains qui unissent nos deux pays.
Voici la bataille toujours actuelle.
La Mort contre la vie. La Vie contre la Mort. Ici, dans ce bois de Couterne, Carlo e Nello Rosselli ont été assassinés à cause de leurs idéaux. Mais si presque quatre-vingt ans après, nous sommes encore ici pour s’en souvenir, ça signifie qu’ils ont triomphé de leurs assassins et qu’ils continuent à vivre grâce à ces idéaux pour lesquels ils se sont sacrifiés.
Etre ici pour le rappeler est un grand privilège, suscite une grande émotion, nous engage tous à ne pas oublier et à garder haute la flamme de leur pensée et de leur action.
Bagnoles de l’Orne 4 juin 2016